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Que faire ?

Préface du livre de Loïc Chaigneau
"Pourquoi je suis communiste
Essai sur l’objectivité du matérialisme dialectique et historique"

Commençons par le tout début du commencement, l’adresse faite par Loïc Chaigneau à son tout jeune dernier né, en guise de dédicace : « À Marceau, Comme passage de témoin et pour que notre héritage ait un testament. »


En première apparence, cette immixtion dans l’intimité privée de l’auteur, pourra sembler quelque peu intrusive. Mais à la vérité la position éminemment liminaire de cet « envoi »

initial, indique assez que l’auteur s’adresse ici, aussi bien, au lecteur. Car c’est bien d’«héritage » qu’il est ici question, ce qui revient, « dès le principe », à insister sur ce qu’on doit bien distinguer, et même, opposer à la seule et simple hérédité.

De la sorte, le cap peut être maintenu jusqu’aux dernières lignes de l’ouvrage, où l’auteur précise : « Tout l’enjeu idéologique du capitalisme est de confondre le déterminisme naturel avec le déterminisme social. »


Ainsi, par quelque détour où nous entraînera cette enquête sur « le matérialisme dialectique et historique », la cohérence du propos se voit sous-tendue comme par une arche que déploient ces deux énoncés, l’initial et le final.


Entre ces deux extrêmes du commencement et de la fin de la nature et de l’histoire, reste à déterminer le moyen terme qui ne cessera d’animer l’argumentaire. Les extrêmes sont des éléments qui tiennent au contenu. Le moyen terme

Pourquoi je suis communiste est l’instance de la forme, de la médiation, de l’outil (l’organonaristotélicien). L’auteur l’a déjà nommée dès le sous-titre. Il s’agit de la « méthode dialectique », (on ne peut moinsaristo-télicienne, pour le coup).


Ce n’est pas la moins malicieuse des « ruses de la raison » que Marx aussi bien que Lénine situent la « méthode dialectique » comme le legs hégélien le plus précieux 1, si on veut bien se rappeler le dédain manifeste de l’auteur de la Science de la logique pour toute considération méthodologique !

On sait que le dernier Hegel, celui des leçons de Berlin, substitue de plus en plus au syntagme « dialectique », celui de « spéculatif ». Il s’agit bien d’un glissement de syntagme, et non de paradigme, tant il est vrai que les deux termes expriment la même opération décisive, celle-là même qui joue un rôle si important dans l’ouvrage de Loïc Chaigneau, et qui renouvelle le geste le plus difficile, et du même coup, le plus fécond de la haute dialectique, le « syllogisme spéculatif ».


Il consiste à renvoyer dos à dos les deux termes d’une anti-nomie, au moyen d’un troisième terme qui dissout l’illusoire certitude de leur unilatéralité spatiale, en l’élevant à leur vérité temporelle (la toute première triade de la Logique — être, néant, devenir — en est l’illustration emblématique). C’est ainsi que l’auteur de cet « Essai sur l’objectivité… », ne cesse de confronter l’objectivité du matérialisme dialectique et/ou historique, à la double impasse de la fastidieuse opposition entre :

— le subjectivisme irrationaliste (Les multiples épigones parisiens de Nietzsche ou Heidegger qui pullulent dès les débuts de la Contre-révolution libérale-libertaire, comme autant de « destruction(s) de la Raison » commandées par la guerre froide)

— et l’objectivisme scientiste, qui ne sort de cet obscuran-tisme, qu’au prix d’une réduction on ne peut plus appauvris-sante de l’objectivité à la simple extériorité spatiale naturaliste, comme si l’Autre n’était pas au moins aussi extérieur et objectif que la chose !


Les développements consacrés par Loïc Chaigneau au néo-positivisme d’un Karl Popper ne sont pas le moindre temps fort de cette attitude des plus courageuses, intellectuellement parlant, tant il est vrai qu’elle revient toujours à combattre sur le double front du sous-romantisme « continental » (Heidegger) et du néopositivisme atlantiste (Popper) : « Être là où c’est le plus difficile, privilège des communistes », proclamaient maintes banderoles dans les rues de l’ex-République démocratique allemande (DDR) ; on peut, on doit reconnaître à Loïc Chaigneau la force d’avoir su développer l’argumentaire dialectique aussi bien que le courage d’avoir osé se hisser à un tel niveau de difficulté.


Dominique Pagani


1. Cf. Marx, Lettre à Dietzgen dans Lénine, Les Cahiers philosophiques, lecture de la Grande Logique.

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