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Féminité et communauté chez Hegel

Livre de Dominique Pagani

Publié aux Editions Delga en 2011

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accompagnée des commentaires vidéos de Dominique Pagani

Dans sa préface à la Phénoménologie de l’esprit, Hegel signale qu’ « À la facilité avec laquelle l’esprit se satisfait, on peut mesurer l’étendue de sa perte. » Il vise ainsi le poématisme absolu de Schelling, troquant la richesse du poème contre la palette d’un peintre limitée à deux couleurs : « le rouge pour la scène historique et le vert pour les paysages selon la demande ».
Réduisant encore cette binarité, notre temps (« Chaque philosophie ne fait que résumer son temps dans la pensée »), censure le rouge au profit du seul vert ; la couleur, très « völkisch », des « Forêts teutonnes » qui dominent Fribourg ; un vert désencombré de l’histoire : celui de l’écologie politique, qui « en a marre du gaullo-communisme » (D. Cohn-Bendit), ou du Medef qui dit vouloir « en finir avec le C.N.R. » (D. Kessler).
En écrivant Féminité et communauté chez Hegel, l’auteur s’est efforcé, par pur souci esthétique, d’y restituer une légère touche de rose ; celle qui nous embaume « dans la croix de la souffrance présente » : on l’aura compris nous sommes ici en représentation, au théâtre. Partant, le problème de la connaissance, n’y paraît qu’à la lumière qui achève toute dramatique ; à commencer par celle que notre Ulysse de l’esprit nomme « la religion esthétique » : la Reconnaissance.

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Du côté d’Hölderlin

LES  LETTRES FRANÇAISES. SEPTEMBRE 2011 (SUPPLÉMENT À L ’HUMANITÉ DU 1er SEPTEMBRE 2011

Si la religion est l’esprit d’une époque sans esprit, la religion congédiée ne garantit nullement la présence ou le retour de l’esprit. Nous sommes ainsi, aujourd’hui, toujours assis au rouet du malheur. Arracher la conscience à cette nuit, lui faire « atteindre le moment de ce tournant » où elle découvre l’inanité, voire le péril de sa certitude et l’échange contre la vérité de l’esprit, délivrer la conscience de sa malédiction spectrale, c’est la tâche, on le sait, que Hegel s’était fixée dans la Phénoménologie de l’Esprit. Mais il ne suffit pas de décider de l’affaire pour nous, nous qui savons, se dit Hegel, il faut encore qu’aux yeux mêmes de la conscience, cette dernière se révèle comme un « esprit imparfait », qu’elle nomme son malheur, le dévisage et se détourne d’y séjourner avec complaisance, c’est ici que la réflexion de Hegel rencontre la nécessité de situer l’art et le beau. « Beauté sans force qui hait l’entendement » ? « Service divin à la gloire de la vérité » ? Moment du passé dépassé ?

Saluons les Éditions Delga d’avoir eu le courage de publier un petit livre de Dominique Pagani qui affronte ce problème, courage disons-nous, car le livre s’affiche à l’écart du mainstream.

Nous ne pouvons, ici, restituer la complète articulation de la réflexion de l’auteur – issue probablement d’un travail beaucoup plus ample. Il s’agit, au fond, d’instruire avec Hegel le procès du romantisme, moment où la « subjectivité infinie » déchaîne son ambiguïté mortifère, moment qui n’est rien d’autre que le moment de la conscience moderne, la nôtre : « celle du romantique germano-américain qui domine le monde depuis la défaite de Napoléon » (115). On l’a compris, il ne s’agit pas ici d’un propos académique. Si l’auteur interroge la dialectique hégélienne de l’art, c’est pour y déchiffrer l’origine de notre malheur et de notre désorientation. Paradoxalement, le livre se présente pour l’essentiel classiquement, comme un commentaire de deux chapitres de la Phénoménologie de l’Esprit : « Religion esthétique » et « l’Esprit vrai ». Dans une filiation revendiquée à Jean Hyppolite, il s’organise autour de deux formules célèbres : « l’opposition éthique suprême » et « le service divin de la vérité ». La première caractérise l’attitude d’Antigone, la seconde introduit à l’analyse de « l’œuvre d’art spirituelle ». C’est à la première que se rattache le titre du livre Féminité et Communauté chez Hegel, à la seconde se relie le sous-titre Rapport de l’esthétique et du politique dans le système. La mise en rapport des deux formules peut surprendre, mais leur lien pourrait être le suivant. On sait que Hegel ramène l’action d’Antigone à l’éternelle ironie « féminine qui frappe la communauté ». Or ce qui est en cause dans ce confit de la famille et de l’État, ce qui en fait « l’opposition éthique suprême », c’est que la famille est l’autre nom de la société civile, du moment subjectif ou naturel, bref de tout ce qui menace ou interdit l’histoire. Et ce péril, l’artiste, à son tour, peut le faire courir s’il joue la fixation suicidaire sur la subjectivité infinie contre la reconnaissance, contre l’entrée dans le « jour spirituel de la présence »

Suivons avec l’auteur cette dialectique, l’art mérite d’être déclaré « service divin » lors de sa « phase ascendante », celle qui part du symbolisme et qui aboutit au classicisme. « Ce mouvement définit une dénaturalisation de la conscience, c’est-à-dire sa politisation. » Autrement dit, l’art se met au service de la conscience, contribue à son passage à l’esprit, avant de cesser d’être contemporain de ce mouvement, d’être adéquat au concept, et de basculer dans sa « phase descendante » à son « exaspération finale, l’ironie subjective » du romantisme. À partir de ce tournant, la raison machine sans lui. Il devient dès lors sa propre dupe. La tragédie, « l’œuvre d’art spirituelle », le signifie clairement. « L’art est cet Œdipe qui exulte lorsque le peuple l’acclame pour sa victoire sur l’énigme, mais qui ne sait pas encore que ce même peuple exige sa dissolution. Tout se passe dans le dos du héros » (128)


C’est à ce point que le problème politique est rejoint. En effet, l’artiste n’est pas obligé de reconnaître le sens qu’on veut lui faire avouer (= sa dissolution). Il peut persister dans sa certitude, la subjectivité infinie qu’il signifie, il peut refuser de reconnaître la vérité et dès lors elle devient le mal absolu. « Ce déni de la reconnaissance propre au subjectivisme moderne » (134)

À un moment, l’auteur évoque et reprend à son compte un vœu célèbre de Thomas Mann, celui de « réconcilier Marx et Hölderlin ». Audelà du sens que cette formule revêtait pour Thomas Mann, celle de l’unité des deux Allemagne, celle des poètes et celle des travailleurs, à comprendre ainsi : Hölderlin, à l’opposé de la tricherie et de l’imposture romantique, désigne le véritable artiste, celui qui ne se ferme pas à l’esprit, celui qui aspire au contraire à la reconnaissance et se voue, à son défaut, aux flammes du sacrifice.

Jean-Loup Thébaud

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