"Si tu as de la raison et du cœur ne les montre pas ensemble : on ne te croira jamais." Hölderlin
Chemins (sub-sahariens) de la Praxis
En ces temps où, de l’immense (1) rumeur de l’histoire, notre ouïe interne peut à nouveau percevoir, depuis l'automne dernier, la formidable résurgence de l’orage populaire, émergeant comme l’« évohé ! » antique, du silence où la loi d’airain du Kapital, pensait l’avoir à jamais recluse, ravalée aux ténèbres que l’auteur de « Néo-fascisme et idéologie du désir » avait osé, plus seul que Job, soumettre à la lumière dialectique, l’arrachant ainsi à la plus implacable des censures, celle qu’exerce « L’inconscient de l’inconscient », commémorer l’anniversaire, de l’agonie finale qui emporta, voici déjà 10 ans, Michel Clouscard, cet ami non moins immense (1), me semble le moindre hommage que nous devons à sa pensée, validée, aujourd’hui comme jamais, sans doute la plus étonnement lucide jamais exprimée depuis la Libération.
Ci-après, ces « Chemins (sub-sahariens) de la Praxis » sont une humble esquisse de la « Défense et illustration » de ses analyses, mais aussi," Comme de longs échos qui au loin se confondent », une trace des échanges inoubliables que nous avions (télé) -partagés entre Sahel et Paris, forêt dense guinéenne et Gaillac, bords de la Seine, du Tarn et/ou du Niger.
Très brève introduction pour établir le décor sillonné par ces « Chemins ».
Brève géographie du décor qui suit : Sur cette carte, le Sahel est cette frange ocre pâle qui se déploie sur près de 7000 kms, de l’Atlantique à la mer rouge. Le terme, d’origine arabe signifie « rivage », « bordure »... Toutefois, la frontière, le « bord » (border), n’est pas, ici, une ligne, mais un espace, une vaste et grandiose aridité.
C’est la zone dite “agro-pastorale”
Plus vaste encore, immense (1) l’océan de ce rivage est « le grand désert » (en arabe, « Sahara »)...
... « Mais le lieu n’était autre que le désert » (Hölderlin/Patmos)
Longue saison sèche et court « hivernage »
(c’est ainsi qu’on désigne ici la saison des pluies) induisent pour chaque lieu, une géographie très intermittente (comparez les 2 images suivantes du même lieu à quelques semaines d’intervalle)
Monts de Hombori / Mali
Quittant ses proches et le pays de sa naissance, c’est en ces lieux qu’« Abraham s’en vint depuis le pays d’Ur, en Chaldée » [Genèse]
« Abraham faisait paître ses troupeaux sur une terre sans limite » [Hegel]
Plus ou moins sèche, mais toujours illimitée...
....bravant les sécheresses....
....bravant « les 7 plaies d’Égypte »....
....fuyant le fléau des vents de sable, « Simoun » ou « Khamsin ». [...] « C’est un vent sec, chaud et très poussiéreux, au souffle brûlant des déserts du sud-est de l’Égypte au sud d’Israël. À la vitesse de 150 km/h, il arrache les feuilles des arbres et donne au ciel une teinte orange foncé ; l’air se charge de poussière ce qui rend la respiration oppressante. Il provoque quelques violents orages. »[Wikipedia]
GRAND TOURNANT :
Mais si la brûlante nuée, la sèche entre toutes, annonce « de violent orages », alors l’immensité, l’incommensurée hostile, devient PRÉVISIBLE en même temps que la terre DEVIENT MEUBLE. : C’est là le passage de l’éleveur nomade, au cultivateur sédentaire, celui qui imposa, à jamais, la sécurité du fini ou du déTERMINÉ, face aux menaces de l’indéfini.
Non, cela ne s’est pas produit un 31 décembre à minuit. Cela a pris du temps.
« Car il est long le temps, Mais il survient, le Vrai » [Hölderlin/Mnémosyne]
Tout commence par l'Élévation.
.....Timides d’abord, bientôt plus assurées, des limites, des enceintes d’épineux, des remparts, bientôt des parapets furent dressés face à l’illimité de l’indifférence.
"La beauté atteint une telle perfection, en cette vie, que la noble ambition de l'homme s'en arrange"
Hölderlin / ultimes écrits
Comme surgie de l’eau sans contours, la figure émerge enfin du fond, la forme, l’Idée, « l’eidos », l’essence amenée enfin à l’existence. « Je n’habite pas dans l’infini, parce que dans l’infini, on n’est pas chez soi » [G.Bachelard]
« ô bonnes villes, non point informes, mais sans violence, à l’ennemi mêlées »
Ce miracle, laïque, de la praxis, produit enfin, non seulement la simple possibilité du sacré, mais son inscription dans l’hic et nunc du réel : Ci-desous une mosquée de transhumance, bouleversante de minimalisme. Avant d’être aspirée verticalement via le minaret [al Mnar] ou la flèche des cathédrales, il fallait d’abord oser tracer dans l’horizontalité du sol, l’enceinte par laquelle un espace, même plan, devient SACRE, bien distinct du profane.
Ainsi les tout premiers mots de l’Éternel à Moïse résonnant depuis les flammes du buisson, avant même les 10 commandements, sont un impératif : « Enlève tes sandales car tu foules une terre sainte. »
Même en le plus lointain hors temps, voici que le temps presse d'entamer la terre enfin ouvrable. Les greniers de l'homme s'émeuvent au miracle de leur prochain emplissement. Les pilotis du maçon réduisent le péril des dents nocturnes et rongeuses : les maçons de l'Être doivent être célébrés dans l'épisode qui suit.
Le festival des greniers... tabernacles de la survie
Niger, entre Tahua et Agadès.
Mali/ Dogon/ Falaise de Bandiagara
Mali/ Dogon/ Falaise de Bandiagara
Ce sont les demeures nocturnes des nains qui reviennent chaque matin ratisser les jardins des bords du Rhin ou de l'Elbe...
Burkina = "Pays des hommes dignes -ou intègres-"
Ainsi Thomas Sankara, l'inoublié, baptisa-t-il l'ancienne Haute-Volta.
Nord Burkina
Nord Nigeria
Nord Ghana
Merci petit frère qui sait que le matérialisme, pour peu qu'il soit quelque peu dialectique, est l'accès véritable à la surnature, soit, "au jour spirituel de la présence".
(Hegel /Phénoménologie de l'Esprit)
Ferme fortifiée Somba (Nord Bénin et nord Togo chez les Tamberma)
Bouleversante simplicité du contenu, enfin révélé, à l’ouverture des tabernacles de la praxis.
"A même la Beauté, il habite"
Hölderlin / "L'Ister"
Après le portage harassant de l'eau, et sa quête en torride pays, après l'épuisement du bois porté, pour chauffer l'eau, au pays de l'arbre rare, voici le miracle multiforme de la coopérative praxique: fécondité, des épis de mil, et des enfants. Acharnement de la femme sahélienne à produire la terre humaine...
Quelles amazones des fables, furent jamais si vaillantes que ces héroïnes de l’épuisement quotidien ?
« Le souci d’eau, ta foi conjugale Ô l’Épouse » (Rimbaud/derniers poèmes)
COMBIEN DE MILLIONS DE NOS MÈRES SE SONT ÉPUISÉES A ASSURER LE MIRACLE QUOTIDIEN DE L’EAU AVANT LE SIMPLE GESTE DU ROBINET QUE L’OBSCÈNE DÉCROISSANTISME DES PUISSANTS VEUT FAIRE PASSER POUR UN LUXE !
Et encore...
Et toujours...
Les puits et sources, origines du langage... et de la métamorphose de la sexualité-zoologique-en éros, anthropologique !
« Là se formèrent les premiers liens des familles, là furent les premiers rendez-vous des deux sexes. Les jeunes filles venaient chercher de l’eau pour le ménage, les jeunes hommes venaient abreuver leurs troupeaux. Là, des yeux accoutumés aux mêmes objets dès l’enfance commencèrent d’en voir de plus doux. Le cœur s’émut à ces nouveaux objets, un attrait inconnu le rendit moins sauvage, il sentit le plaisir de n’être pas seul. L’eau devint insensible- ment plus nécessaire, le bétail eut soif plus souvent : on arrivait en hâte, et l’on repartait à regret ». JJ Rousseau / Essai sur l’origine des langues.
« Tu m’as donné la boue, et j’en ai fait de l’or... »
(Baudelaire/ « La voix »)
Case « en obus » du nord-Cameroun.
« Mais la nuit, avec toutes ses étoiles, n’est pas plus pure, si j’ose le dire, que l’Homme, qu’il faut appeler... »
[Hölderlin/ « En bleu adorable »]
« Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.
− Sourds [1], étang, − Écume, roule sur le pont, et par dessus les bois ; −draps noirs et orgues, − éclairs et tonnerres − montez et roulez ; − Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu’ils se sont dissipés, − oh les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes ! − c’est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu’elle sait, et que nous ignorons. »
A. Rimbaud / « Après le déluge » [Illuminations]